Se raconter n’est pas facile, que dire alors lorsqu’il s’agit de raconter l’autre, de trouver les mots justes, les expressions adéquates surtout quand il s’agit de retranscrire la vie d’une personne n’ayant pas la même culture que la vôtre.
Notre première rencontre fut fortuite comme beaucoup le sont. Le hasard allait, plus tard, bien faire les choses. Je suis le scribe, le narrateur, elle est l’héroïne.
« Je ne me plains pourtant pas, j’aurais pu me retrouver dans la rue à attendre la mort… ». Ce sont ses premières paroles alors que je m’apprête à prendre des notes. Attendre la mort comme les shegués qu’on peut voir le long des routes qui mendient pour survivre et pour lesquels un funeste destin est déjà tracé.
« Je suis née dans les années 90 à Kolwezi, du moins c’est ce que l’on m’a dit ». Les mots sont durs, incompréhensibles pour l’Occidental que je suis. De documents de naissance, elle n’eût pas. Comment peut-on naître et ne pas exister ? Elle ne connait pas son père, elle a pourtant cherché à le savoir, mais s’est heurtée au silence de ses proches. Une façon de la préserver, de la protéger ? Elle reste évasive sur ce point. Elle n’ajoutera qu’un tout est possible au Congo lorsque je lui pose la question de ce non acte officiel de naissance ! On ne peut s’empêcher alors de penser aux difficultés du recensement de la population en République démocratique du Congo.
Une naissance sans attestation, cela m’est difficile à comprendre. Le tout est possible au Congo me revient déjà à l’esprit. Cela aura d’ailleurs une légère répercussion plus tard. Le « maman avait 15 ans quand elle m’a mise au monde » résonne encore à mes oreilles et augure d’une enfance et d’une jeunesse difficiles. Ballotée entre Kolwezi et Lubumbashi, partagée entre sa grand-mère, des tantes, des cousines pour rejoindre et parfois quitter sa maman à plusieurs reprises, le résumé est bref, mais n’a rien d’exceptionnel quand on connaît les valeurs de la famille africaine. Le chahut de cette enfance va, pourtant, lui forger le caractère. C’est du moins ce qu’elle m’a dit lorsque nous nous sommes rencontrés. Ballotée, parce que sa maman était trop jeune pour s’en occuper, parce qu’elle devait se débrouiller pour trouver de l’argent, parce que le nouveau compagnon de sa maman ne voulait pas de cet enfant…