« Libérés, délivrés »
Je me sens soudainement libéré de ma réserve : ils ont « osé » et la plupart ont réussi. Les élèves dont j’avais la charge (classe d’examens) dans cet établissement français à l’étranger pendant deux années sont « libres ». Je peux dès lors m’exprimer sans que cela ne leur retombe sur le paletot.
Payer des sommes astronomiques en espérant voir ses enfants bénéficier d’un enseignement de qualité et d’une porte ouverte vers l’Occident est, en soi, compréhensible, bien que discriminatoire et élitiste, alors, qu’au même moment, l’on prêche que l’éducation est un droit pour tous.
Le coût serait alors inhérent aux compétences pédagogiques des enseignants engagés ? Cela pourrait en effet être le cas, sauf qu’ici bon nombre d’enseignants ne sont pas…enseignants ! Épouses d’expatriés, personnes n’ayant pas les titres requis et j’en passe. Quant aux professeurs locaux, malgré de solides diplômes, ils sont nettement moins bien payés !
Lorsque vous vous investissez dans ce type d’établissement, en tant qu’enseignant, vous bénéficiez, il est vrai, d’avantages non négligeables et d’un salaire intéressant. Il vous est donc demandé, bien que cela ne soit pas nécessaire de le préciser, de vous investir.
Cet investissement réalisé, la confiance instaurée entre vous et vos élèves devraient alors vous mettre sur la bonne voie, celle de l’exploration du monde, celle de l’ouverture vers les autres. Dans l’établissement pour lequel j’ai œuvré pendant deux années, ce ne fut pas le cas. Du moins, pas la dernière année.
Je n’avais pourtant pas changé mon fusil d’épaule, la ligne de conduite était la même. Je n’étais seulement pas d’accord avec la nouvelle direction qui avait décidé de faire du profit en considérant l’école comme une entreprise. Accepter des enfants issus d’un autre enseignement parce que les parents ont les moyens de payer alors que les enfants n’ont pas le niveau pour la simple et bonne raison qu’ils n’ont jamais suivis telle ou telle matière fut, pour moi, une profonde erreur tant pour les espoirs des parents que pour les étudiants devant alors rattraper 3, 4 années en une seule.
Certes, je n’entrais pas dans le moule façonné de cette nouvelle équipe et ma seule préoccupation fut de préparer au mieux la classe d’examen dont j’avais la charge. D’élèves parfois timides, parfois peu conscients de leurs capacités, ils se sont alors transformés en jeunes adultes responsables, osant se projeter vers l’avenir, osant aussi dire ce qu’ils pensaient. Je les ai quittés, forcé, alors qu’ils allaient entamer la terminale, une terminale avec un bac, un grand oral au bout de la route. Cette terminale où la langue française n’est plus enseignée. On avait donc pris les devants en les préparant à l’exercice du grand oral sans encore savoir en quoi il consistait, on avait réalisé des bacs blancs, histoire de les situer. L’enseignement, préparer des étudiants au monde de demain, un monde que nous ne connaissons pas !
« Incompétent », « paresseux »
« Incompétent » fut le mot lancé à mon égard par mon jeune remplaçant dont je n’ai jamais vu le bout du nez, sous investissement et manque d’implication furent les amabilités du directeur en place à mon égard, avec, sous-jacent, quelques faits reprochés que j’ai démontés aisément. L’égo de quelques-uns fit en sorte de ne pas écouter et comprendre ce que j’avais à dire. Quant au comité de direction, que pourrais-je lui dire sinon qu’il fait fausse route. L’argent est nécessaire, oui, mais ce n’est pas l’objectif final !
« Paresseux » fut le terme employé pour décrire cette classe qui, lors de notre parcours commun, avait marqué mon esprit par la solidarité qu’elle affichait. Que de choses réalisées ensemble !
J’étais donc incompétent, ils étaient paresseux
Il est étonnant maintenant de constater qu’après deux ans sous cette bannière, la plupart des élèves que j’avais dans les classes supérieures ont réussi. Grâce aussi à d’autres collègues bien entendu, mais le mérite revient aux élèves eux-mêmes ! Quand je dis la plupart, je pense que celles et ceux qui doivent passer au second tour s’en sortiront également. Au pire, on remontera leurs notes, comme il est régulièrement demandé dixit certaines personnes bien informées, histoire d’atteindre le « ici, c’est 100% au bac » ! Sur ce point, je ne m’avancerai pas.
Ils sont libres maintenant, je le suis aussi : je n’ai plus à m’inquiéter pour eux, ils vont pouvoir voler de leurs propres ailes !
Bravo aux vrais enseignants qui, cette dernière année, ont fait en sorte que ces élèves puissent voir l’avenir en rose. En espérant que les dernières décisions d’un directeur – se croyant au-dessus des lois – de raboter les primes de logement des anciens en fonction des heures données ne puissent passer.