Guerre, guerre sanitaire, économie de guerre, bataille, front, couvre-feu, première ligne(=tranchées) sont autant de mots écrits, lus, vus, entendus depuis le début de la pandémie. Si l’on y ajoute, au fur et à mesure de son évolution les termes, hôpitaux de campagne, médecine d’urgence, mobilisation de l’armée, attestations nécessaires pour chaque sortie, laissez-passer, l’on est bien en guerre du moins au niveau rhétorique, sémantique si vous préférez.
Pourtant nous ne le sommes pas et chacun sait qu’en temps de malheur, il faut correctement nommer les choses.
Le théoricien prussien Carl von Clausewitz disait de la guerre qu’elle est un caméléon : elle change de forme, de couleur, d’acteurs, mais pas de nature. Pour parler de guerre, il faut un ennemi. L’ennemi invisible tel la pandémie nommée n’est donc pas un ennemi à proprement parler. Dans une guerre, l’ennemi est un élément « intelligent », structuré et incarné. Faire la guerre relève d’une intention, d’une volonté institutionnelle.
De plus, dans quelle guerre a-t-on vu des civils (personnels soignants, caissières, éboueurs, enseignants) en première ligne, sauf lorsqu’ils sont utilisés comme boucliers humains ?
On ne signe pas la paix avec un virus, contrairement à ce qui se passe à l’issue d’un conflit entre les protagonistes. Même à la fin du second conflit mondial, dans la guerre totale contre le nazisme, des dignitaires du régime hitlérien se sont assis à la table des Alliés pour signer la reddition inconditionnelle de l’Allemagne, le 8 mai 1945. La Covid-19, elle, ne capitulera jamais.
Pour conclure, j’en terminerai avec les propos du linguiste et lexicographe Jean Pruvost, «lorsque nous avons quelque chose d’important à adresser à la collectivité, notre réflexe est d’avoir recours aux métaphores filées. C’est ainsi que nous pouvons faire passer un message à nos auditeurs. En effet, les mots techniques nous échappent. (…) il n’existe que très peu de domaines à convoquer pour parler de l’épidémie. «Nous puisons généralement nos métaphores dans le monde de la navigation, la chasse, la végétation ou les saisons, le corps humain, le sport, la religion et enfin, la guerre.»
« On s’aperçoit que ce vocabulaire belliqueux est une tentative de rasseoir le pouvoir (…)alors que s’abat sur lui la pression d’une opposition et d’une opinion publique qui jugent que le pouvoir a réagi trop tardivement. Le vocabulaire martial ne suffit pas à occulter le manque de lisibilité d’un plan d’action face à une crise.»
Addendum : pub de prévention allemande, une phrase à retenir : « le canapé était notre champ de bataille, la patience notre fusil… »