À la sauce Zola

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Me permettez-vous, dans ma gratitude pour le bienveillant accueil que vous m’avez fait un jour, d’avoir le souci de votre juste gloire et de vous dire que votre étoile, si heureuse jusqu’ici, est menacée de la plus honteuse, de la plus ineffaçable des taches même si vous apparaissez rayonnant dans l’apothéose de votre mission en cours.

Mais quelle tache de boue sur votre représentativité ! Ce soufflet suprême à toute vérité, à toute justice que vous avez imposée à cet homme,  l’histoire écrira que c’est sous votre règne qu’un tel crime social a pu être commis. Puisqu’ils ont osé, j’oserai aussi, moi. La vérité, je la dirai, car j’ai promis de la dire, si la justice ne la faisait pas, pleine et entière. Mon devoir est de parler, je ne veux pas qu’il soit jeté au ban de la société. Mes nuits seraient hantées par le spectre du silence, dans la plus affreuse des tortures, d’un crime qu’il n’a pas commis. Et c’est à vous que je la crierai, cette vérité, de toute la force de ma révolte d’honnête homme. Et à qui donc dénoncerai-je cette tourbe malfaisante ?

Quelques personnes néfastes ont tout mené, ont tout fait. Elles apparaissent comme les esprits les plus fumeux, hantés d’intrigues romanesques, se complaisant aux moyens de romans-feuilletons, de lettres sorties d’un autre âge. Ce sont elles qui imaginèrent cette sombre besogne.  Et je n’ai pas à tout dire, qu’on cherche, on trouvera.

On ne saurait concevoir les expériences auxquelles l’homme a été soumis, les pièges dans lesquels on a voulu le faire tomber, les imaginations monstrueuses, toute une démence torturante.

Et d’instruction il n’y eut pas, comme dans une chronique du XVe siècle, au milieu du mystère, avec une complication d’expédients farouches, tout cela basé sur une seule pseudo charge, ce bordereau imbécile qui était aussi la plus impudente des escroqueries, car les fameux secrets livrés se trouvent presque tous sans valeur. Je voudrais faire toucher du doigt comment l’erreur a pu être possible, comment elle est née de machinations, comment vous et d’autres avez pu vous y laisser prendre, engager peu à peu votre responsabilité dans cette erreur, que vous avez cru devoir imposer comme la vérité sainte, une vérité qui ne se discute même pas.

Mais le voici devant le conseil. Le huis clos le plus absolu est exigé : on chuchote des faits terribles, de ces faits qui indignent l’Histoire ; et naturellement on s’incline. Il n’y a pas de châtiment assez sévère, elle applaudira à la dégradation publique, elle voudra que le coupable reste sur son rocher d’infamie, dévoré par le remords.

Il n’y a eu, derrière, que les imaginations romanesques et démentes. Tout cela n’a été fait que pour cacher le plus saugrenu des romans-feuilletons. Et il suffirait, pour s’en assurer, de pouvoir étudier attentivement l’acte d’accusation dont il n’a pu se saisir. Qu’un homme ait pu être condamné sur cet acte, c’est un prodige d’iniquité.

Que de formelles assertions dans le vide! On nous avait parlé de plusieurs chefs d’accusation : ils ont été balayés d’un revers de main.  Et, dès lors, l’on comprend l’obstination désespérée avec laquelle, pour justifier la condamnation, on affirme aujourd’hui l’existence d’une note secrète, accablante, la pièce qu’on ne peut montrer, qui légitime tout, devant laquelle nous devons nous incliner.

Une pièce ridicule, oui, où il est question de femmes aux petites vertus.
Elles ameutent, se cachent, pervertissent les esprits. Je ne connais pas de plus grand crime civique. Voilà donc, monsieur, les faits qui expliquent comment une erreur a pu être commise ; et les preuves morales, l’absence de motifs, son continuel cri d’innocence, achèvent de le montrer comme une victime d’extraordinaires imaginations.

Comprenez-vous cela ! Et ces gens-là parviennent à dormir, à parler à leurs enfants de droits et de justice. À moins qu’ils n’en aient pas, ce qui serait déjà quelques âmes de sauvées.

Oui ! nous assistons à ce spectacle infâme, tandis qu’on frappe l’honneur même, un homme à la vie sans tache ! Quand une société en est là, elle tombe en décomposition.

Cette vérité, cette justice, que nous avons si passionnément voulues, quelle détresse à les voir ainsi bafouées, plus méconnues et plus obscurcies! Je me doute de l’écroulement qui doit avoir lieu dans l’âme de certains, et je crois bien qu’ils finiront par éprouver un remords. Il a cru que la vérité et son silence se suffisaient à eux-mêmes, surtout lorsque cette vérité lui apparaissait éclatante comme le plein jour. A quoi bon tout bouleverser, puisque bientôt le soleil allait luire ? Et c’est de cette sérénité confiante dont il est si cruellement puni.

Je dis que ceci est un crime de plus et qu’il soulèvera la conscience universelle. Telle est donc la simple vérité, monsieur, et elle est effroyable, elle restera pour votre règne une souillure. Je me doute bien que vous n’avez aucun pouvoir en cette affaire, que vous êtes le prisonnier d’une règlementation et de votre entourage. Vous n’en avez pas moins un devoir d’homme, auquel vous songerez, et que vous auriez dû remplir. Ce n’est pas, d’ailleurs, que je désespère le moins du monde du triomphe. Je le répète avec une certitude plus véhémente : la vérité est en marche et rien ne l’arrêtera. C’est d’aujourd’hui seulement que l’affaire commence, puisqu’aujourd’hui seulement les positions sont nettes : d’une part, les coupables qui ne veulent pas que la lumière se fasse ; de l’autre, les justiciers qui donneront leur vie pour qu’elle soit faite. Je l’ai dit ailleurs, et je le répète ici : quand on enferme la vérité sous terre, elle s’y amasse, elle y prend une force telle d’explosion, que, le jour où elle éclate, elle fait tout sauter avec elle.

Mais cette lettre est longue, monsieur, et il est temps de conclure.

J’accuse l’un de vos lieutenants d’avoir conduit la victime sur une voie sans issue, et ce en connaissance de cause.

J’accuse votre exécutif de s’être rendu complice, tout au moins par faiblesse d’esprit, d’une des plus grandes iniquités qui soit.

J’accuse X, Y et Z de mensonges oraux et de monstrueuse partialité, ayant sans doute crainte qu’un écrit ne les confonde.

J’accuse aussi A d’avoir fait un rapport mensonger, à moins qu’un examen médical ne le déclare atteint d’une maladie de la vue, du jugement et du souvenir.

J’accuse les échotiers d’avoir répandu la rumeur sans chercher la vérité.

Quant aux personnes que j’accuse, je ne les connais pas toutes, je ne les ai jamais vues pour certaines, je n’ai contre eux ni rancune ni haine. Ils ne sont pour moi que des entités, des esprits de malfaisance sociale. Et l’acte que j’accomplis ici n’est qu’un moyen pour hâter l’explosion de la vérité et de la justice.

Je n’ai qu’une passion, celle de la lumière, au nom de l’humanité qui a tant souffert et qui a droit au bonheur. Ma protestation enflammée n’est que le cri de mon âme. Qu’on ose donc me traduire en justice et que l’enquête ait lieu au grand jour ! J’attends. Ce sera pour moi, l’occasion de démontrer que l’homme n’est en rien ce que l’on prétend qu’il est.

Messieurs, Mesdames, je ne vous salue pas !

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